vendredi 29 avril 2011

Ce n'est rien qu'un peu de poussière



"J'ai un million de clics sur Youtube et je suis toujours à découvert !!" (qqun, à propos de la vie)

RIP le mal être existentiel de l'homme moderne inconsolable, broyé par la société capitaliste de production et de consommation, qui se lamente sur l'échec de l'affirmation de son Moi, sur l'inévitable et douloureuse fuite du bonheur vers un ailleurs, peut-être oriental, peut-être méditatif, peut-être christique, un ailleurs dissimulé sous la cape de la mort. Ci-gît le désarroi.
Ladys et Gentlemen, les années 2000 vous présentent... le 0% ! la légèreté ! le tout petit plaisir !
Voyez ? Plus de raison de faire une jaunisse depuis le haut débit et les réseaux sociaux responsables des révolutions (souvenez vous, en 1789, 1830, 1848, du rôle crucial de facebook et twitter dans les évènements qui changèrent le destin de notre pays !)
Observons : la tendance médiatique et artistique des années 90 était à la dissection des angoisses au Deroxat et des névroses au Lexomil, le suicide était un authentique concept-art.
Mais depuis le milieu des années 2000 des thèmes peu joyeux tels que le chômage, les mères célibataires, la cité d'en face, la presque déchéance financière, les carrément SDF et la maladie sont délicatement abordés dans le cinéma de telle sorte que le spectateur puisse sortir de la séance en se disant que le chômage, les mères célibataires... ce n'est pas si grave. Drôlerie et légèreté, affiche rose avec petits nuages blancs. Ces chômeurs si émouvants, si attachants !
Les individus semblent donc plus heureux, la faiblesse est devenue une force grâce à un mélange d'affirmation et de détachement. Le looser a sa forme de réussite : il lui suffit d'écrire "je suis un looser" sur son mur facebook pour que ses amis le gratifient d'un pouce en l'air "j'aime"... (notons que le vrai looser n'a pas de profil facebook...)

Je ne sais pas qui à réussi à nous vendre le vide en nous faisant croire, grâce au Net, que nous en étions seuls les auteurs et que le Moi n'était plus haïssable mais consommable, comment a t-on réussi à édulcorer le désarroi occidental afin de pouvoir le digérer facilement, comment les gens peuvent-ils croire que la légèreté qu'ils achètent (qui n'est pas l'humour) va les sauver et que le bonheur est un jardin bio, que ça ira mieux demain parce que j'arrête de pleurer bruyamment ?

Hommes de peu de joie ! Jamais de radicalité ni d'excès, dans le bonheur comme dans le malheur, les sentiments sont propres, lisses et sans odeurs, comme un écran brillant d'ordinateur, comme les corps, comme la pensée, légers, légers, mais d'une légèreté qui ne prend jamais de hauteur.

vendredi 8 avril 2011

A great weirdo

A Julien Doré.

Je devais me pencher sur le cas pathétique de Julien Doré. Wikipédiatiquement il s’agit d’un individu, jeune, ayant fait une école d’art parce qu'il en a rien à branler et qui s’est lancé dans la chanson sur M6. En se coiffant d’une barrette comme Katerine, en couinant sur les aigus comme Luchini et en jouant du ukulélé comme un million de personne se filmant sur youtube, il est devenu célèbre pour son originalité. Tout le monde ayant à peu près compris qu’il n’avait aucun talent musical, on a pris le parti de penser qu’il était un imposteur de génie.

Au moins deux choses. Comme beaucoup dans les années 2000, Julien a suivi une tendance qui consiste à vivre d’un domaine professionnel en général très critiqué soit pour sa dégénérescence, ce qui peut être le cas pour les arts, soit pour son fonctionnement capitaliste brutal, soit pour toute raison qui éloigne ledit domaine de la morale, de l’éthique, de l’esthétique et de la philosophie (en bref la majorité des activités salariées) avec une distance convenue qui mélange le cynisme, la lucidité forcément intelligente, l’humour et le je-m’en-foutisme du moment que j’ai le look qui va avec.

En résumé on mange la soupe, on crache dedans, et mange son crachat avec délectation parce que c'est le sien. Il se peut bien que Julien ne fasse que s’amuser. Puisque ça se vend. Mais je ne crois pas en la sincérité de ces gens. Soit on est un artiste soit on ne l’est pas. Si on profite d’un système en le critiquant pour prouver qu’on n’a pas laissé sa tête et son cœur de côté, c’est qu’on est un idiot ou un imposteur de l’imposture. On veut se faire croire qu’on est au dessus de tout or si on fait ce qu’on fait, c’est par désir, nécessité et plaisir. On veut faire croire qu’on se joue de tout mais un chanteur qui se moque du chant reste un chanteur, pourquoi ne pas l’accepter ? Pourquoi vouloir tout dépassionner et prétendre qu’on ne fait que s’amuser (en gagnant bien sa vie) ?

Où bien Julien se prend pour un artiste. Ce n’est pas pire, mais c plus inquiétant. Car Julien n’a jamais voulu devenir chanteur (car en vrai, lui, c la comédie qui l’attire…). Pourquoi a-t-on dû tordre et déchirer les arts, en plus du reste, de la morale, de l’éthique, de l’esthétique et de la philosophie ? Parce que visiblement il ne s’agit pas d’être musicien mais d’être un Individu. Le gagnant est le plus original, le plus bizarrement coiffé, celui qui va proposer quelque chose de déjanté, qui va mettre sa personnalité au devant en oubliant de s’effacer derrière l’art qu’il prétend pratiquer, ici la musique. Ne peut-on donc plus aimer quelque chose qui ne soit pas soi (les miroirs du soi que nous renvoient les artistes à personnalité) ?

Qu’est ce qui vaut, la musique ou la barrette de Julien ? Le son ou Julien se trémoussant sur une reprise guillerette version 14 juillet de Creep ?